mercredi 15 décembre 2010

[Gisti-info] « Sur le front des frontières » - Article extrait du Plein Droit n° 87

Sur le front des frontières

Dossier coordonné par Emmanuel Blanchard, Olivier Clochard et Claire Rodier
Membres de Migreurop


Avec le développement des migrations et, surtout, de leur contrôle, la définition de la frontière, longtemps centrée sur des critères géographiques et techniques, a évolué, intégrant de nombreux autres facteurs (politiques, économiques, juridiques…). Des dispositifs anti-immigration ont alors fait leur apparition dans de nombreux endroits du monde, dans le but de juguler les flux d'« indésirables ». Barrières classiques (murs, grillages, barbelés), « biométrisation », multiplication des mécanismes de contrôle à distance, les frontières se matérialisent aujourd'hui par toute une série d'obstacles dans les parcours des exilés à la recherche d'une vie meilleure ou d'une protection.


Dans certains grands aéroports internationaux, les contrôles de police ont disparu pour une partie des voyageurs qui traversent les frontières en quelques instants. Ainsi à Roissy-Charles-de-Gaulle, le système Parafes (passage automatisé rapide aux frontières extérieures Schengen) permet aux ressortissants de l'Union européenne volontaires – une « inscription » préalable est nécessaire – de se contenter de traverser un portique dans lequel ils font reconnaître la bande optique de leur passeport et les empreintes de huit de leurs doigts. L'authentification biométrique est censée effacer les frontières et ouvrir un vaste espace mondialisé pour celles et ceux qui acceptent de se soumettre à ces dispositifs. La conjonction de l'anthropométrie née à la fin du xixe siècle [1] et de la puissance de calcul de l'informatique du xxie siècle – les bases de données sont les nouvelles barrières à la mobilité – est cependant loin de favoriser la liberté de circulation : des exilés du monde entier cherchent, en s'automutilant, à effacer leurs traces afin d'échapper à la surveillance du fichier Eurodac. Destiné à stocker les empreintes de tous les demandeurs d'asile et des migrants « irréguliers » interpellés lors des contrôles, ce fichier est une véritable épée de Damoclès au-dessus de celles et ceux qui ont eu le malheur d'entrer par les mauvaises portes de l'Europe, par les interstices des îles grecques ou d'autres espaces investis par les damnés de la mondialisation. Dans leur cas, l'identification biométrique débouche sur les « reconduites à la frontière » et autres modes d'assignation à résidence des exilés.

Aujourd'hui comme hier, la technologie des frontières est ségrégationniste : les postes-frontières français qui, au début du xxe siècle, servaient à retenir les caravanes de « romanichels » [2] ont certes été démantelés, mais les itinérants et les minorités nationales, dont les « Roms » sont emblématiques, ne bénéficient toujours pas de l'effacement progressif des délimitations nationales à l'intérieur de l'espace Schengen. Il ne faudrait d'ailleurs pas s'arrêter aux apparences de la modernité politique et technologique du gouvernement des frontières : les vieilles séparations entre États sont loin d'avoir disparu et se sont même démultipliées. Depuis 1991 et, notamment, l'éclatement de l'URSS, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie, 26 000 km de frontières ont été instituées dans le monde et 24 000 ont fait l'objet d'accords de délimitation [3]. Surtout, leur surveillance continue en maints endroits d'obéir à un archaïsme de la force pure qui assimile les « indésirables » de la mobilité internationale des « vies sans valeur ». La pluralité des frontières est d'ailleurs au coeur des formes contemporaines de gouvernement des populations. Ainsi l'Inde qui mure, grillage de barbelés et sature d'hommes en armes les points de passage avec le Bangladesh et le Pakistan, s'est aussi lancée dans le recensement biométrique de l'ensemble de sa population (dont les déplacements internes ont toujours été vus comme un ferment de déstabilisation sociale) et la « traçabilité » des mouvements de tous les étrangers pénétrant sur son territoire [4]. Les anciennes délimitations géographiques se déplient aujourd'hui pour pister les mouvements de populations et non plus simplement les arrêter.

Les frontières des géographes

La définition des frontières a longtemps été guidée par des facteurs exclusivement géographiques et techniques. Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, des géographes [5] vont en proposer une idée beaucoup plus riche en faisant référence à un ensemble d'éléments politiques, économiques, sociologiques, juridiques, etc. Pour Paul Guichonnet et Claude Raffestin [6], «  toutes les définitions [de la frontière] ou presque s'appuient sur la notion de zone, de mouvement et de souveraineté. Autrement dit, il y a référence à l'espace, à la "cinématique" et au droit ». Dans cette perspective et du fait de la multiplication des contrôles des flux migratoires depuis les années 1990, on note qu'en de nombreux endroits du monde, des dispositifs « anti-immigration » tentent de juguler des flux d'« indésirables ». Dans le même temps, d'autres réalités frontalières réapparaissent de part et d'autre de ces limites internationales, sous diverses formes, « mais toujours en des lieux où les contrôles migratoires peuvent s'opérer et être efficaces. Ces réalités de la frontière, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre, ont tendance même à se combiner » [7]. Où se situent réellement les frontières qui font obstacle aux projets des personnes qui aspirent à une meilleure vie ailleurs ?

(...)

> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article2119


Cet article est extrait du n° 87 de la revue Plein droit  (décembre 2010),
 
« Sur le front des frontières »
http://www.gisti.org/spip.php?article2114


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