vendredi 24 juin 2016

[Gisti-info] « Au Mexique, des morts moins anonymes » - Un article du Plein Droit 109

Article extrait du Plein droit n° 109

« Au Mexique, des morts moins anonymes »

Naawa Siari
Journaliste

Disputées pour leur enjeu stratégique dans le trafic de drogue, les routes mexicaines et centraméricaines sont très dangereuses pour les exilé·e·s. Meurtres et enlèvements sont loin d'y toucher uniquement les migrant·e·s, et le caractère massif des disparitions, dévoilé par le retentissement international du massacre d'Ayotzinapa, suscite une mobilisation croissante de la société civile. Dans ce contexte, les associations de défense des droits des migrant·e·s viennent d'obtenir la création d'une commission d'identification et d'un mécanisme transnational d'identification et de remise des corps.


Mexique et États-Unis partagent une histoire migratoire depuis le début du XXe siècle, alimentée notamment par la question agraire et sa mauvaise gestion, culminant en 1994 avec la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain (Aléna) [1]. L'explosion de la violence depuis la dite « guerre contre le narcotrafic » par Felipe Calderón en 2006 a précipité sur les routes une portion croissante de la population, classant le pays dans les champions du monde de l'émigration. De plus en plus de Centraméricains passent ou s'établissent dans le pays, auxquels se mêlent des exilés d'Afrique ou d'Asie. L'émigration centraméricaine a évolué depuis le coup d'État de 2009 au Honduras, qui a conduit des familles entières et de nombreux mineurs non accompagnés à s'exiler. Ce pays détient le record mondial du nombre d'homicides par habitant. Le taux d'élucidation y est quasi nul et sa police serait la moins fiable du continent d'après sa propre population. De même au Salvador, la violence reste le principal motif d'émigration selon les associations de monitoring indépendant [2]. Le Guatemala entretient des migrations de travail agricole avec le Mexique et souffre de carences en structures de base en milieu rural. La crise économique que traverse le pays pousse de plus en plus de familles et de mineurs isolés vers l'extérieur. L'Unicef a déjà interpellé le Mexique en 2011 pour sa carence de protection des adolescents contre les bandes organisées, une situation qui n'a fait qu'empirer depuis lors [3]. Notons encore que, depuis 2004, le Honduras, mais aussi le Salvador et le Guatemala sont liés aux États-Unis par des traités de libre-échange qui n'ont fait qu'y approfondir les inégalités, favorisant l'émigration. Ces accords ont été confirmés et portés au niveau régional via le plan d'« Alliance pour la prospérité et le développement » lancé en 2014 par Washington à destination des trois pays.

Loi de 2011 : clarifier les règles et resserrer l'étau

Depuis 1974, la loi générale de population mexicaine y encadrait les migrations. Son décalage avec la réalité et l'explosion de la violence contre les migrants a provoqué une prise de conscience institutionnelle qui a abouti au vote de la loi migratoire de 2011. Une loi qui a clarifié les règles d'entrée, de sortie et de séjour dans le but de limiter les pratiques discrétionnaires. La société civile y a joué un rôle important, à travers la création d'un groupe de travail incluant une dizaine d'organisations de défense des droits des migrants. Ce groupe a revendiqué un cadre légal clair, ce qui a été obtenu, en plus de garanties de procès équitable, de prise en compte de l'unité familiale ou encore de simplification des procédures d'accès au séjour. Mais cette loi présente aussi des carences, comme la persistance des amendes élevées pour séjour irrégulier, et des vides juridiques comme le mode de détermination de l'intérêt supérieur de l'enfant en application de la Convention internationale des droits de l'enfant (Cide).

La réforme juridique ne s'est pas pour autant traduite par la fin des pratiques discrétionnaires et des abus sur le terrain. Plus est, elle s'est accompagnée d'une modernisation des moyens de contrôle et de répression, favorisant les voies dangereuses de séjour, de travail et de transit irréguliers. Si la prison n'est plus la règle pour les infractions au séjour, la nouvelle loi n'a pas mis fin aux arrestations et placements systématiques en station migratoire [4], aux déportations massives ou encore à l'usage discriminatoire et disproportionné de la force pendant les opérations de contrôle. La région côtière du Chiapas s'est militarisée avec le « Plan frontera sur » qui a bétonné les postes frontière et y a renforcé la présence des forces de sécurité. Ce type de maillage s'étend sur tout le pays et se focalise sur les points nodaux des routes migratoires (grandes villes, ports, aéroports, etc.), permettant aux groupes criminels d'œuvrer en toute impunité contre les migrants dans les zones isolées. Pour traverser cette « frontière du centre », comme la décrivent ses habitants, les passeurs peuvent recevoir jusqu'à 7 000 $ pour montrer le chemin et offrir une protection partielle contre les risques de kidnapping, d'enrôlements forcés dans les gangs ou de viol. Risques desquels ils peuvent parfois se rendre complices. Au nord enfin, la frontière avec les États-Unis demeure la plus tristement connue pour sa dangerosité. Dans ce contexte, les attaques contre les défenseurs des droits des migrants sont fréquentes et souvent impunies, tout comme les atteintes aux défenseurs des droits humains en général [5]. (...)

>>> La suite de l'article




Extrait du
Plein droit109
  « Homicides aux frontières
»
(juin 2016, 10€)



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