mardi 21 juin 2016

[Gisti-info] « RC Lens, de la mine au terrain  ? » - Un article du Plein Droit 108

Article extrait du Plein droit n° 108

« RC Lens, de la mine au terrain  ? »

Marion Fontaine
Université d'Avignon, centre Norbert Elias

Dans l'ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, où se sont succédé, jusqu'à la fin des années 1960, Belges, Polonais, puis Algériens et Marocains, le Racing Club de Lens a-t-il été le miroir de cette immigration et le vecteur d'intégration que ses dirigeants vantent aujourd'hui ? En réalité, l'histoire du RCL montre que les relations entre football, immigration et intégration sont plus complexes que la mémoire idéalisée du partage d'une même identité à la fois sociale et locale.


Le Racing Club de Lens (RCL) [1] est considéré aujourd'hui comme le club emblématique de l'ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Lorsqu'ils mettent en scène son histoire, ses dirigeants insistent sur son statut de « club des Gueules noires », symbole des valeurs et de l'identité des mineurs. Ils soulignent aussi son rôle intégrateur dans un bassin industriel où la population ouvrière a été largement composée par les vagues migratoires successives [2] : les Belges à la fin du XIXe siècle, les Polonais dans l'entre-deux-guerres, les Algériens, puis les Marocains, recrutés avant la fermeture des puits dans les années 1950-1960. Le RCL est présenté comme le miroir de cette immigration, lui qui compta dans ses rangs nombre de joueurs d'origine polonaise (Maryan Wisniewski, les frères Georges et Bernard Lech), mais aussi autrichienne (Anton Marek), hongroise (Ladislas Schmidt) ou encore algérienne (Ahmed Oudjani). Le club est décrit aussi, dans une perspective devenue très classique, comme un vecteur d'intégration : ce que la mine aurait fait sur le plan du travail, le club l'aurait prolongé dans le domaine du jeu, en contribuant à transformer les migrants en « Gueules noires », adhérant à une même identité à la fois sociale et locale. Un certain nombre de travaux d'historiens ont cependant montré que les relations entre football, immigration et intégration étaient plus complexes que les images mythiques que l'on en donnait parfois [3]. Cette complexité se vérifie dans le cas du Racing Club de Lens : si la trajectoire du club éclaire en effet certains aspects de l'histoire migratoire du bassin minier, elle illustre surtout les statuts et les parcours différents des joueurs « étrangers » et permet de saisir des situations moins évidentes qu'on le dit souvent.

Pour comprendre les choix qu'opèrent les dirigeants du RCL, lorsque le club devient professionnel (1934), il faut tenir compte d'un double contexte. Le premier est celui d'une immigration polonaise organisée, à partir des années 1920, par un accord entre le Comité central des Houillères de France et le gouvernement de la nouvelle Pologne. Des dizaines de milliers de migrants et leur famille viennent peupler les cités minières et reconstituent en leur sein de véritables « petites Pologne », dotées de leurs propres commerces et de leurs propres associations [4]. Le second phénomène concerne le développement européen du football, et en particulier du football professionnel, autorisé en France en 1932. Dès cette époque, commence à se mettre en place un marché international des joueurs [5] : les clubs français recourent ainsi très vite à des joueurs britanniques (pour leur compétence technique), puis aux footballeurs d'Europe centrale et, déjà, à certaines individualités issues de l'empire colonial.

Le RCL prend alors pleinement sa part dans ce marché. Le petit club local fondé en 1906 est patronné à partir du début des années 1930 par la puissante Compagnie des mines de Lens. Celle-ci, désireuse d'imiter d'autres entreprises – en particulier les usines Peugeot, qui entretiennent le Football Club de Sochaux – voit dans le football une distraction moderne, susceptible de plaire aux mineurs et de constituer en même temps un outil publicitaire ainsi qu'un élément de prestige. Aussi les étrangers alors présents dans l'équipe – les Autrichiens Anton Marek, Victor Spechtl, le Hongrois Ladislas Schmidt pour les plus connus – ne doivent-ils pas prêter à confusion. Ils ne sont en rien liés à l'immigration polonaise présente dans les cités minières, et attestent encore moins une volonté intégratrice, qui à ce moment préoccupe assez peu la Compagnie de Lens [6]. Quoiqu'on ne dispose pas de sources précises, on peut supposer qu'ils sont recrutés sur la base d'un contrat strictement sportif, même si l'entreprise est susceptible de leur octroyer certains avantages (un logement dans les cités, un emploi à la fin de leur carrière sportive), en vue de les fidéliser.

Les migrants polonais, installés dans les cités, d'origine rurale pour beaucoup et qui, pour une partie d'entre eux, découvrent le football en arrivant en France, commencent peut-être à peupler les tribunes du stade Félix Bollaert (celui du RCL), mais ils sont encore peu présents dans l'équipe.  (...)

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Extrait du
Plein droit108
  « Sportifs immigrés : le revers de la médaille
»
(mars 2016, 10€)



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