Bonnes causes, mauvais chiffres
Professeur émérite université Paris-I
Pour faire avancer une cause, il faut la présenter avec un chiffre. Ainsi, la loi n’aurait sûrement pas pu s’attaquer au tabagisme en France si on n’avait pas pu chiffrer le nombre de morts dus à cette cause – plus de 60 000 par an – et encore moins interdire cette pratique dans les lieux publics si on n’avait pas pu estimer ceux dus à la tabagie passive : environ 5 000 par an. Ces chiffres ne sont pas faciles à établir car les causes de décès sont chose complexe, surtout quand il s’agit de tabagie passive. C’est pourquoi il faut les prendre pour des ordres de grandeur, surtout le deuxième.
Pour lutter contre les mariages forcés dans notre pays, qui concernent des populations issues de certains pays d’Afrique, on évoque régulièrement un chiffre de 70 000. Celui-ci date d’un rapport du HCI, Haut Conseil à l’intégration, de 2003, dans lequel il est écrit : « Selon les chiffres convergents rassemblés par les associations que le HCI a auditionnées, plus de 70 000 adolescentes seraient concernées par des mariages forcés en France. »
Contrairement aux chiffres des morts par tabac, qui sont des flux, comme disent les statisticiens, c’est-à-dire des événements annuels, nous avons affaire ici à un stock, c’est-à-dire à un nombre de personnes concernées par un phénomène à un instant donné, en l’occurrence le nombre de jeunes filles présentes en France risquant d’être mariées de force.
Comment a été obtenue cette évaluation ? D’après un article d’Alain Gresh du 16 mars 2007 dans le blog du Monde diplomatique, elle proviendrait du Fasild, Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (aujourd’hui Acsé), et aurait été calculée en appliquant les proportions de mariages forcés observés dans différentes ethnies en Afrique aux adolescentes de notre pays originaires de ces ethnies. Comme Alain Gresh, on peut se demander comment on mesure les ethnies en France et, surtout, si les pratiques constatées en Afrique sont censées se perpétuer sans changement dans notre pays.
Au-delà de la mise en cause de la méthode qui a donné ce chiffre, qu’est-ce que celui-ci est censé nous apprendre ? Pour répondre, reprenons l’exemple du tabagisme, plus précisément du tabagisme actif. On estime le nombre de fumeurs en France à près de 14 millions. On pourrait donc écrire : « Près de 14 millions de Français risquent de mourir du fait du tabac. »
(...)
> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article1253
Cet article est extrait du n° 77 de la revue Plein droit (juin 2008),
« Les chiffres choisis de l’immigration »
http://www.gisti.org/spip.php?article1165
Vous pouvez trouver ce numéro de Plein Droit dans les librairies au prix de 9 € (ISSN 0987-3260 juin 2008)... le commander directement au Gisti (moyennant un supplément de1,5 € pour les frais d'envoi) : http://www.gisti.org/spip.php?article59 .... ou vous abonner à la revue (4 numéros par an) : http://www.gisti.org/spip.php?article60
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