Les démographes doutent mais les politiques savent
Membre de l’association Pénombre
Dès son origine, l’association Pénombre [1] a relevé l’usage médiatique d’un chiffre inventé et variable selon l’inventeur, celui du nombre d’immigrés clandestins présents en France à un moment donné. En novembre 1996, dans une lettre ouverte à deux députés [2], le président de Pénombre, Pierre Tournier, faisait la liste des « chiffres » avancés en la matière : 800 000 selon un rapport des deux parlementaires interpellés, de 200 000 à 400 000 selon le premier secrétaire du parti socialiste Lionel Jospin (journal télévisé, France 2, 18 août 1996), 350 000 selon Le Monde du 23 août 1996 attribuant cette évaluation au Bureau international du travail (BIT), de 150 000 à 200 000 selon Laurent Joffrin alors rédacteur en chef à Libération (20 août 1996), 180 000 selon le patron de la Dicilec (expolice d’air et des frontières, Robert Broussard, La Vie catholique, 28 mars 1996), sans oublier les millions fantasmés par les responsables du Front national.
Il rappelait au passage que dénombrer effectivement les immigrés clandestins supposait leur régularisation intégrale. La régularisation de 1997-1998, dernière opération de grande ampleur menée en France, aurait pu resserrer les écarts entre ces estimations divergentes. Avec 170 000 demandes de régularisation, on se situait plutôt dans la partie basse de la fourchette. Est alors apparue une estimation se basant sur la supposée proportion de clandestins qui avaient déposé une demande, la moitié selon des sources policières officieuses. Poursuivant l’enquête, Pénombre s’adressait au directeur des libertés publiques et obtenait une réponse circonstanciée : « Par construction, cette immigration ne peut être comptabilisée. Non pas du fait de son caractère illégal (certaines infractions sont, à partir d’extrapolations raisonnées, comptabilisées avec un degré de précision satisfaisant), mais parce qu’il n’existe aucune source administrative capable de la recenser de manière exhaustive et même approchée. » Le directeur développait ensuite les raisons l’amenant à considérer que « le rapport entre demandes de régularisation et irréguliers est largement supérieur au chiffre indiqué dans l’article » (un pour deux selon Le Monde du 20 janvier 1999). Mais, en toute logique, il concluait qu’il lui était « évidemment impossible de témoigner de quelque certitude que ce soit sur ce point et, par conséquent, sûrement pas de proposer un chiffre alternatif à celui avancé. » [3]
En 1998, donc dans la même période, le sénateur José Balarello, rapporteur d’une commission d’enquête sur les régularisations d’étrangers en situation irrégulière, préférait, en matière de chiffrage des immigrés clandestins présents en France, se référer aux déclarations du directeur des libertés publiques faites devant l’Assemblée nationale trois ans plus tôt, donc en 1995. Selon ce haut fonctionnaire (évidemment différent de celui cité plus haut), on pouvait arriver à une estimation minimale de 200 000, en soulignant que la prudence s’imposait. Il n’empêche, le rapporteur du Sénat pensait pouvoir conclure : « Une estimation du nombre des clandestins entre 350 000 et 400 000 ne paraît pas éloignée de la réalité. »
Sautons les dix années suivantes. Dans une interview donnée en exclusivité au Figaro Magazine (19 janvier 2008), Brice Hortefeux, ministre de l’immigration affirme : « Le nombre de clandestins – que l’on situe habituellement entre 200 000 et 400 000 – a diminué en France pour la première fois depuis une génération. » Les journalistes marquent leur étonnement : « Mais comment pouvez-vous dire que le nombre de clandestins baisse puisque, par définition, il paraît impossible d’obtenir des chiffres ? ». Pour ce ministre, rien d’impossible et, sans crainte d’être contredit sur le champ, il affirme : « Quatre indicateurs me permettent de penser que, au total, le nombre de clandestins a diminué d’environ 6 %. » De ses explications, on a bien du mal à comprendre pourquoi pas 4 %, pourquoi pas 8 %. Les chiffres – et non les pensées chiffrées – cités par monsieur Brice Hortefeux sont : une baisse de 4 % des bénéficiaires de l’aide médicale d’État entre septembre 2006 et septembre 2007 ; les 23 200 éloignements (reconduites à la frontière) de 2007, portant à 105 000 le total cumulé depuis 2002 ; les 26 500 étrangers refoulés aux frontières de 2007, portant à 205 000 le total cumulé depuis 2002 ; la baisse du nombre de demandeurs d’asile déboutés, de 32 000 en 2006 à 26 400 en 2007. Alors pourquoi 6 % ? Appliqué à la fourchette 200 000– 400 000, ce pourcentage donne une plage de 12 000 à 24 000 clandestins de moins, que l’on pourra aller rechercher chez ceux qui ont été refoulés, n’ont pas demandé l’asile pour être déboutés ensuite, ont été reconduits à la frontière, toutes variations en plus ou en moins dont il est difficile de donner un solde. D’ailleurs le ministre se garde bien d’évoquer le nombre inconnu de base, celui des entrées annuelles de clandestins.
(...)
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http://www.gisti.org/spip.php?article1252
Cet article est extrait du n° 77 de la revue Plein droit (juin 2008),
« Les chiffres choisis de l’immigration »
http://www.gisti.org/spip.php?article1165
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