Une politique aux antipodes du discours
Philosophe et Journaliste – Membres de Cette France-là
Telle qu’elle est présentée par le ministère de l’immigration, la politique de développement solidaire de la France apparaît comme une idée ambitieuse, généreuse, irréprochable, répondant « à un triple intérêt : l’intérêt du migrant, l’intérêt du pays de destination et l’intérêt du pays d’origine ». Cependant, à y regarder de plus près, ce dispositif présente un certain nombre de faiblesses voire même de contradictions qui conduisent à s’interroger sur les intentions réelles de ses auteurs.
« Pendant trop longtemps, notre pays a pris des décisions unilatérales en matière migratoire, avec le succès que l’on connaît. » Tel était le constat, ironique, que formulait Brice Hortefeux, alors ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, dans son discours du 19 juin 2008, prononcé à l’occasion du premier anniversaire de son ministère. Trois mois plutôt, ledit ministère avait partiellement modifié ses attributions, le codéveloppement cédant la place au concept censément plus inclusif de « développement solidaire ».
Selon Brice Hortefeux, en effet, le codéveloppement se soucie « exclusivement [du] soutien aux initiatives des migrants en faveur de leur pays d’origine [1] », alors que le développement solidaire vise « l’ensemble des actions de développement susceptibles de contribuer à la maîtrise des flux migratoires [2]. » Au-delà de leurs ressortissants, ce sont donc les gouvernements des pays d’émigration qu’il s’agit désormais de soutenir. Fort de cet exercice d’explication, le ministre pouvait alors se féliciter du caractère ambitieux de la politique de coopération dont il avait la charge.
Les devoirs constitutifs de la concertation dont se réclame le ministère du développement solidaire sont principalement de trois ordres. Premièrement, comme le soulignait Brice Hortefeux, il importe de ne « pas piller les élites ou la main-d’œuvre de pays qui en ont besoin [3]. » Autrement dit, même si la France a indéniablement intérêt à accueillir de nombreux travailleurs étrangers hautement qualifiés, il lui incombe de ne pas dépouiller les pays émergents et en développement des ressources humaines qui sont indispensables à leur essor.
Deuxièmement, pour que les cerveaux, les talents et plus généralement les bras du Sud ne soient pas contraints de s’expatrier, faute d’opportunités dans leurs contrées d’origine, une politique de solidarité doit veiller à favoriser le développement économique de ces contrées. Il s’agit donc de contribuer à l’offre d’emploi dans les pays d’émigration – en encourageant les investissements directs de capitaux français privés et en engageant les deniers de l’État dans des projets d’utilité publique – et, ce faisant, de substituer au moins partiellement l’échange des biens et services à l’expatriation des personnes.
Enfin, troisièmement, le développement solidaire comprend aussi une dimension de réciprocité symbolique. Il est en effet essentiel que, tout en aidant matériellement des nations moins favorisées qu’elle, la France ne se conduise pas comme un donateur condescendant. Autrement dit, il lui revient de prêter autant d’attention à la dignité de ses partenaires qu’à leur prospérité. Or, à cet égard, il n’est pas de meilleure preuve de respect envers un donataire que celle qui consiste à lui signifier que l’on a également besoin de lui. Par conséquent, en sollicitant le soutien des États du Sud dans son projet de lutte contre l’immigration subie, le gouvernement français ne se donnerait pas seulement les meilleures chances d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés dans ce domaine : il substituerait en outre à une relation d’assistance unilatérale quelque peu humiliante un rapport d’entraide fondé sur le besoin mutuel et la responsabilité partagée. Ainsi, la signature d’accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire [4] (voir article p. 16) concrétise, selon le ministère, le « partenariat global » entre les pays d’émigration et la France, et s’inscrit dans une « démarche gagnant–gagnant [5]. »
Refuser le pillage des compétences et talents, aider les pays d’émigration à offrir davantage d’opportunités à leurs ressortissants et enfin traiter les gouvernements du Sud comme les partenaires d’un échange équitable et valorisant pour toutes les parties : tels sont les trois mots d’ordre sur lesquels repose le développement solidaire. Quant à leur application, elle passe respectivement par la promotion d’une immigration de travail qui privilégie les titres de séjour à durée limitée – de manière à ne pas priver trop longtemps les pays d’origine de leurs forces vives –, par des aides apportées à la fois aux investissements français à l’étranger et aux étrangers qui acceptent de quitter la France pour rentrer volontairement chez eux – ainsi Brice Hortefeux remettait le 3 juillet 2008 les tout premiers « prix du codévelop-pement », ainsi qu’un chèque de 3000 euros, à de jeunes diplômés « qui font le pari du retour au pays » –, et enfin par un conditionnement de l’assistance économique de l’État français aux efforts que déploient ses partenaires pour limiter l’émigration de leurs ressortissants.
Telle qu’elle est présentée par le ministère, la politique de développement solidaire de la France apparaît donc comme une idée ambitieuse, généreuse, irréprochable. Cependant, à y regarder de plus près, ce dispositif présente un certain nombre de faiblesses. (...)> La suite de l'article est à l'adresse
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Cet article est extrait du n° 83 de la revue Plein droit (décembre 2009),
« Codéveloppement : un marché de dupes »
http://www.gisti.org/spip.php?article1799
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