lundi 4 janvier 2010

[Gisti-info] « Des accords léonins » - Article extrait du Plein Droit n° 83

Des accords léonins

Violaine Carrère et Monique Duval
Membre du Gisti ; ancien contrôleur du travail


Incorrigibles, les gouvernements se succèdent et réactivent toujours le même fantasme, celui de la « maîtrise des flux migratoires ». Les accords de « gestion concertée » des flux migratoires sont le nouvel outil au service de cette maîtrise rêvée… Se voulant une approche novatrice des politiques d’immigration, censée répondre aussi bien aux intérêts des pays de départ que d’arrivée de migrants, leur véritable enjeu est peut-être surtout l’élaboration d’un dispositif permettant à la France de réguler les migrations avec une totale souplesse.

Dans les années quatre-vingts, l’objectif principal des politiques visant à la fameuse « maîtrise des flux » était de limiter le nombre de migrants autorisés à entrer sur le territoire national. User de parcimonie dans la délivrance de visas et durcir les conditions d’octroi de titres de séjour semblaient des moyens nécessaires et suffisants pour parvenir à adapter l’arrivée de migrants à ce qui a été désigné par l’expression – jamais vraiment explicitée – de capacités d’accueil du pays. Mais, alors qu’au début de la décennie une grande opération de régularisation avait eu lieu, censée permettre de repartir de zéro, bien vite on a pu observer que la politique mise en œuvre n’empêchait pas des migrants de venir, et/ou de rester, et qu’au lieu de l’apurement escompté, elle créait des sans-papiers. La volonté de « maîtrise des flux » a par la suite conduit à se doter de toujours plus d’instruments, tant pour freiner les entrées irrégulières que pour empêcher le maintien sur le territoire des étrangers sans titre de séjour : surveillance accrue des frontières, multiplication des mesures d’éloignement, renforcement des moyens pour rendre effectives les décisions de reconduite à la frontière.

À la fin de la décennie quatre-vingt-dix, a germé l’idée d’impliquer les États d’où partent ces « flux », ainsi que ceux par où ils transitent, dans la fermeture des frontières nationales aux migrants indésirables. Mais pour amener ces États à jouer le rôle de garde-frontières pour le compte de la France, il fallait imaginer des contreparties qui rendent le deal acceptable. Les rapports de force entre les pays concernés et la France sont tels que la chose ne risquait pas d’être bien difficile, mais les gouvernements ont en général besoin de sauver la face… Peu à peu, on a trouvé. Les « accords de gestion concertée des flux migratoires », que la France a commencé à conclure à partir de 2006, comportent l’essentiel de ces trouvailles, qui se veulent une approche novatrice des politiques d’immigration.

Pour l’instant, neuf accords ont été conclus : avec le Sénégal en 2006, avec le Gabon, le Congo Brazzaville et le Bénin en 2007, avec la Tunisie, l’Ile Maurice et le Cap-Vert en 2008 et en 2009 avec le Burkina-Faso et le Cameroun. L’objectif fixé est de parvenir à la conclusion de sept nouveaux accords par an d’ici 2011. Des négociations sont en cours, notamment avec le Mali, Haïti, les Philippines, le Nigéria et l’Égypte.

Une communication d’août 2007 du ministre de l’immigration d’alors présentait ainsi le programme de signature de ces accords bilatéraux : « La concertation avec les principaux pays d’origine de l’immigration pour organiser avec eux la migration légale, la lutte contre l’immigration irrégulière et les actions de codéveloppement et d’aide au développement est, à terme, la principale réponse aux écarts de développement et de niveau de vie entre la France et ces pays ».

La logique qui sous-tend ces accords est en effet la suivante : les migrations naissent de l’écart de niveau de vie entre les pays du Nord et les pays du Sud. Si l’on travaille à faire diminuer ces écarts, on supprime les mobiles de l’exil et on résout ainsi le « problème » de l’immigration. De nombreuses études ont pourtant montré que les choses ne sont pas si simples, et que le développement, dans un premier temps au moins, au lieu de fixer les populations dans les régions concernées, est au contraire facteur de mobilité. Le ministre ne doit certainement pas l’ignorer. Mais l’idée semble tellement frappée au coin du bon sens qu’il sera facile d’y faire adhérer, manifestant ainsi que les responsables politiques ont la capacité, et la volonté, d’agir sur des phénomènes dont on sait bien par ailleurs qu’ils excèdent la puissance des gouvernants. Elle a en outre l’avantage d’afficher, aux yeux de l’opinion, une politique qui se soucie des intérêts des migrants, empreinte donc d’humanité ! Le verrouillage des frontières et la répression des exilés deviennent ainsi des pilules plus faciles à avaler.

Avec ces accords, la France se trouve parfaitement en phase avec l’Europe et avec la nouvelle orientation de la politique d’immigration telle qu’elle a été définie par les instances européennes dès le conseil de Tampere en 1999, où est apparu le concept de codéve-loppement en lien avec la migration. La France, surtout depuis qu’elle a décidé de favoriser une immigration dite « choisie », a d’ailleurs contribué fortement à promouvoir le principe d’accords conclus avec les pays tiers sous le signe d’un partenariat et du développement dit solidaire. C’est lors de la présidence française de l’Union européenne, en octobre 2008, qu’a été adopté le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui préconise la création de « partenariats » entre les pays de l’Union et les pays d’origine ou de transit des migrants. Et c’est toujours sous la présidence française que s’est tenue, en novembre de la même année, une conférence euro-africaine sur la gestion concertée des flux migratoires entre les deux rives de la Méditerranée.

Mais de quelle « gestion concertée », de quels « partenariats » s’agit-il donc ? Quels sont en réalité les intérêts communs entre les pays d’Europe et les pays d’où partent les migrants ? Tout laisserait à penser que, justement, ces intérêts sont divergents ; quel profit y a-t-il en effet pour les pays du Sud à s’efforcer d’empêcher l’émigration ?

(...)

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http://www.gisti.org/spip.php?article1648


Cet article est extrait du n° 83 de la revue Plein droit  (décembre 2009),
  « Codéveloppement : un marché de dupes »

http://www.gisti.org/spip.php?article1799


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