mardi 29 décembre 2009

[Gisti-info] « Migrations et démocratie » - Article extrait du Plein Droit n° 83

Migrations et démocratie

Emmanuel Terray
Directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes études en sciences sociales (EHESS)


Migrations et développement sont aujourd’hui bien moins antagonistes que complémentaires. C’est en effet la migration qui apporte au développement l’aide la plus conséquente et la plus efficace. Une réelle coopération devrait donc comprendre une clause de libre circulation. Or, c’est le contraire qui est aujourd’hui pratiqué. Derrière un discours dont on ne cherche même plus à camoufler le cynisme, c’est un contrôle accru et une diminution des migrations qui sont à l’œuvre.

Migration et développement : ce thème ne saurait être abordé, me semble-t-il, sans une réflexion préalable sur les connotations évolutionnistes du terme de développement, et des termes corrélatifs de sous – ou d’insuffisant – développement. Tout se passe comme si le développement consistait en une série d’itinéraires parallèles parcourus par différents pays à des allures différentes. Tous iraient dans la même direction – la prospérité de leur économie et l’épanouissement de leur population – mais les uns iraient plus vite que les autres ; on pourrait donc distinguer des pays avancés et des pays arriérés (« moins avancés », dira-t-on dans le langage euphémisé d’aujourd’hui). Mais dans cette perspective, chacun courrait pour son propre compte, dans son propre « couloir », sans subir l’influence des autres et sans les influencer ; chacun serait donc comptable de son propre résultat et de lui seul.

Dans un très beau texte d’Anthropologie Structurale Deux, Claude Lévi-Strauss fait justice de cette mythologie intéressée. On me pardonnera la longueur de la citation : elle se justifie, me semble-t-il, par l’éloquence du propos. Claude Lévi-Strauss se propose, dit-il, de ramener :

« l’attention sur deux aspects du problème du développement que les penseurs contemporains ont trop tendance à négliger.

En premier lieu, les sociétés que nous appelons aujourd’hui “sous-développées” ne sont pas telles de leur propre fait, et on aurait tort de les concevoir comme extérieures au développement occidental ou restées indifférentes devant lui. En vérité, ce sont ces sociétés qui, par leur destruction directe ou indirecte entre le xvie et le xixe siècle, ont rendu possible le développement du monde occidental. Entre elles et lui existe un rapport de complémentarité. Le développement lui-même,

et ses exigences avides, les ont faites telles que ce développement les découvre aujourd’hui. Il ne s’agit donc pas d’une prise de contact entre deux procès qui se seraient poursuivis chacun dans l’isolement. Le rapport d’étrangeté entre les sociétés dites sous-développées et la civilisation mécanique, consiste surtout dans le fait qu’en elles, cette civilisation mécanique retrouve son propre produit, ou, plus précisément, la contrepartie des destructions qu’elle a commises dans leur sein pour instaurer sa propre réalité.

En second lieu, la relation ne peut être conçue dans l’abstrait. Il n’est pas possible de négliger qu’elle s’est manifestée de façon concrète, depuis plusieurs siècles, par la violence, l’oppression et l’extermination. De ce point de vue aussi, le problème du développement n’est pas matière à pure spéculation. L’analyse qu’on peut en faire, les solutions qu’on peut en proposer, doivent nécessairement tenir compte de conditions historiques irréversibles, et d’un climat moral qui forment ce qu’on pourrait appeler la “charge dynamique” de la situation coloniale [1]. »

Les choses sont donc claires : le développement n’est pas un problème « extérieur » auquel nous nous intéresserions par compassion ou même par intérêt bien compris. Il est partie intégrante de notre monde et de notre destinée, et seule une bonne mesure d’aveuglement nous permet de le « tenir à distance » comme nous le faisons trop souvent.

(...)

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http://www.gisti.org/spip.php?article1757


Cet article est extrait du n° 83 de la revue Plein droit  (décembre 2009),
 
« Codéveloppement : un marché de dupes »
http://www.gisti.org/spip.php?article1799


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