mardi 29 juin 2010

[Gisti-info] « À l’épreuve du rayon X » - Article extrait du Plein Droit n° 85

À l'épreuve du rayon X

Jean-François Martini
Juriste, permanent au Gisti

L'identification de l'étranger est devenue un enjeu déterminant dans un contexte de contrôle strict de l'entrée et du séjour sur le territoire national. Apporter la preuve qu'un jeune est majeur revêt donc, pour l'administration, une telle importance, qu'elle n'hésite pas à recourir à des méthodes d'analyse plus que contestables.

Au même titre que le nom, le lieu de naissance ou la filiation, la date de naissance d'un étranger constitue un des principaux éléments de son identification. La connaissance de son âge va également permettre l'application d'un régime juridique différent suivant qu'il est mineur ou majeur. En matière d'entrée et de séjour, c'est l'âge de la majorité tel qu'il est fixé par la loi française qui est pris en compte, peu importe que le jeune étranger de plus de dix-huit ans soit considéré comme mineur dans son pays d'origine. Cette règle fixant de manière unilatérale l'âge de la majorité ne vaut pas dans tous les domaines du droit. En matière de capacité des personnes, c'est en principe l'âge de la majorité dans le pays du jeune étranger qui doit être recherché et pris en compte.

Que ce soit pour l'identifier ou lui appliquer l'exception de minorité, les autorités administratives ou judiciaires se réfèrent à l'état civil de l'étranger pour connaître son âge. Encore faut-il que celui-ci soit en mesure de présenter un document d'état civil. Or certains étrangers sont dans l'impossibilité de le faire, du moins dans les délais généralement très courts prescrits par l'administration ou la justice. Rappelons que, selon l'Unicef, 50 millions de naissances n'auraient pas été enregistrées pour la seule année 2000, soit plus de 40 % des naissances qui ont eu lieu dans le monde [1]. L'absence de déclaration de naissance prive le plus souvent l'enfant d'un état civil ou, pour le moins, complique très sérieusement sa constitution ultérieure. Dans certains pays comme l'Afghanistan ou l'Érythrée, l'état civil est quasi inexistant ; dans d'autres, comme la République Démocratique du Congo [2], il a été endommagé par des années de crise économique et de guerre civile ou par une catastrophe naturelle comme en Haïti à la suite du tremblement de terre. Mais il est aussi de plus en plus fréquent que les autorités françaises réfutent la validité de documents d'état civil établis à l'étranger, y compris parfois ceux présentés par des ressortissants français.

En l'absence d'une connaissance précise de l'âge d'un étranger, il arrive que l'administration lui attribue d'autorité une date de naissance pour les besoins de la cause. C'est ainsi que lors de l'évacuation de la « jungle » de Calais en septembre 2009, les services de la préfecture du Pasde- Calais avaient « fait naître » tous les Afghans interpellés le 1er janvier. Parmi eux, 72 jeunes hommes avaient donc exactement la même date de naissance, soit le 1er janvier 1991. Pour les reconduire à la frontière, les services de la préfecture avaient tout bonnement « attribué » un âge légèrement supérieur à dix-huit ans à tous les jeunes Afghans se déclarant mineurs. Une fois déclarés majeurs, la préfecture les avait placés en rétention dans l'attente de leur éloignement. Les magistrats saisis de cette affaire n'ont pas eu trop de difficulté pour relever la supercherie et mettre fin aux mesures de rétention [3]. Mais si ces jeunes avaient été éloignés avant leur comparution devant le juge des libertés et de la détention, la manoeuvre serait sûrement passée inaperçue.

L'importance de la preuve de la minorité est donc considérable. D'abord parce que les mineurs n'ont pas à solliciter de titre de séjour avant leurs dix-huit ans, à moins qu'ils n'aient besoin d'une autorisation de travailler à partir de l'âge de seize ans. Ils ne peuvent donc jamais être considérés comme étant en situation irrégulière et poursuivis pénalement pour ce motif. En second lieu, un mineur ne peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Cette règle doit cependant être aussitôt relativisée. D'une part, un mineur peut être refoulé à la frontière s'il ne remplit pas les conditions d'accès au territoire français. Seule la fiction juridique de la « non-admission sur le territoire » des étrangers placés dans les zones d'attente des ports, aéroports et gares internationales permet aux pouvoirs publics de continuer à affirmer que les mineurs sont protégés contre toute mesure d'éloignement. D'autre part, la protection contre l'éloignement ne s'applique pas aux mineurs accompagnant leurs parents quand eux-mêmes sont sous le coup d'une mesure d'éloignement. À ces réserves près, les mineurs ne peuvent effectivement pas être éloignés de force.

La preuve de la minorité est déterminante aussi pour ceux que l'on appelle les « mineurs étrangers isolés » puisque, outre qu'ils sont dispensés de solliciter un titre de séjour et assurés de ne pas faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière jusqu'à leurs dix-huit ans, leur jeune âge leur ouvre aussi théoriquement l'accès au dispositif de protection de l'enfance. À ce titre, dès lors que leur isolement est identifié comme une source de danger, ils peuvent bénéficier d'une mesure d'assistance éducative qui aboutit, si tout se passe bien, à leur prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Pour ces mineurs étrangers isolés, l'enjeu est donc double : mineurs, ils sont protégés contre l'éloignement et pris en charge jusqu'à leurs dix-huit ans ; déclarés majeurs, ils rejoignent la cohorte des sanspapiers qui risquent d'être éloignés à tout moment du territoire.

Malgré la protection prévue par les textes, la présence de mineurs isolés dans les centres de rétention n'est pas exceptionnelle. Sous la pression de la politique du chiffre, l'administration a de plus en plus souvent tendance à déclarer majeurs les jeunes étrangers qui ne peuvent pas immédiatement faire la preuve, de façon incontestable, de leur minorité. Outre l'affaire de Calais déjà évoquée, le dernier rapport de la Cimade fournit plusieurs cas de mineurs sous le coup d'une mesure d'éloignement et placés en rétention [4]. Un mineur marocain passera ainsi une semaine dans le centre de rétention de Lyon-Saint-Exupéry avant que sa famille ne soit en mesure de faxer son acte de naissance. Au centre du Mesnil- Amelot, c'est un jeune Albanais qui sera enfermé avant d'être libéré. Un Guinéen de seize ans restera une semaine au centre de rétention de Plaisir dans les Yvelines. Mais l'exemple le plus frappant concerne le jeune J. contrôlé par la police aux frontières de Rennes alors qu'il revenait d'une sortie scolaire avec sa classe. Soumis à une expertise osseuse, alors même qu'en sa qualité de mineur isolé, il était placé sous la tutelle du conseil général d'Ille-et- Vilaine et présentait une carte d'identité de son pays d'origine, il sera placé en rétention jusqu'à ce que le tribunal administratif annule la décision administrative fixant le pays de renvoi.

La contestation de l'âge d'un mineur étranger repose le plus souvent, comme dans ce dernier cas, sur une expertise dite « osseuse ». Cette pratique s'est développée depuis une quinzaine d'années.

(...)

> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article1984


Cet article est extrait du n° 85 de la revue Plein droit  (juin 2010),
  « Nom : Étranger, état civil : suspect »

http://www.gisti.org/spip.php?article1969


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