lundi 15 novembre 2010

[Gisti-info] « Cancer et travail : des liens et des droits niés » - Article extrait du Plein Droit n° 86

Cancer et travail : des liens et des droits niés

Flaviene Lanna, Anne Marchand & Annie Thébaud-Mony
Giscop93, Université Paris 13, Bobigny


Pendant 20, 30, 40 ans, ils ont exercé des professions qui les ont exposés quotidiennement à des substances cancérogènes, dans le BTP, la maintenance, le nettoyage, la gestion des déchets. Ils ne bénéficient pourtant pas de droits à une retraite anticipée, et quand un cancer se déclare, il n’est pas reconnu comme maladie professionnelle. Un déni de droits qui pèse lourdement sur les travailleurs eux-mêmes mais aussi sur les familles durement éprouvées.


Que le travail dévolu aux travailleurs issus de l’immigration soit massivement, en France, ce qu’on appelle le « sale boulot » (BTP, maintenance, nettoyage, gestion des déchets) ne fait pas de doute. Que ces travailleurs soient aussi les plus atteints par les accidents du travail relève également de l’évidence, même si une part importante de ces accidents – sous la pression des employeurs et donneurs d’ordre – ne fait l’objet d’aucune reconnaissance officielle. En revanche, il n’existe aucune connaissance ni reconnaissance des cancers contractés par les travailleurs immigrés du fait de leur travail. Ni les statistiques du cancer, ni celles des maladies professionnelles ne donnent la moindre information à ce sujet.

Les cancers professionnels sont, en eux-mêmes, « une plaie sociale trop souvent ignorée » comme l’écrivent les auteurs d’une brochure de l’Institut syndical européen sur le sujet [1]. Depuis le début des années 2000, le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis (Giscop 93) tente de cerner cette réalité mal connue [2]. Une enquête permanente auprès des patients de services hospitaliers en Seine- Saint-Denis permet aux chercheurs d’entrer en contact avec les malades et de reconstituer avec chacun d’eux, dans le détail, au cours d’un entretien, leur parcours professionnel. Ces parcours sont ensuite analysés par un groupe d’experts [médecins du travail, toxicologues, chimistes, ingénieurs de la caisse régionale d’assurance maladie (Cram), délégués des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)] qui identifient et caractérisent les expositions à des substances cancérogènes.

Depuis 2002, l’équipe a reconstitué le parcours professionnel de près de mille patients, identifiant des expositions professionnelles à des cancérogènes pour 84 % d’entre eux, en particulier dans le BTP, la maintenance, le nettoyage, la gestion des déchets, donc les secteurs dans lesquels les travailleurs issus de l’immigration trouvent du travail, souvent précaire. Les parcours individuels ainsi reconstitués s’inscrivent dans l’histoire collective du travail des soixante dernières années en France et dans l’inégale répartition des risques professionnels selon la place occupée dans la division sociale du travail. Dans celle-ci, les travailleurs issus de l’immigration supportent une part très importante de l’exposition professionnelle aux cancérogènes. Pour autant, ils ne bénéficient ni du droit à une retraite anticipée alors que cette pénibilité-là altère grandement leur espérance de vie, ni même de la reconnaissance en maladie professionnelle pour des cancers survenant souvent de façon précoce au moment où ils quittent le travail.

Quelques histoires puisées dans l’enquête permettront d’illustrer ces formes de discrimination indirecte. Tout d’abord nous montrerons dans quelles circonstances ces travailleurs ont été professionnellement exposés à des cancérogènes. Puis un cas emblématique des difficultés rencontrées dans la procédure de reconnaissance en maladie professionnelle illustrera comment la maladie professionnelle et le déni de droits à la reconnaissance pèsent aussi sur les familles éprouvées par le drame du cancer professionnel, qu’elles vivent en France ou au pays.

À 12 ans, Monsieur E. commence à travailler, au Maroc, comme saisonnier dans une usine de conditionnement de sardines, puis dans des fermes. À 28 ans, il vient travailler en France, aux Houillères du Pas-de-Calais, comme mineur de fond pendant cinq ans : huit heures par jour, dans la poussière et le grisou, il creuse les tunnels. La silice est aujourd’hui reconnue comme cancérogène. Puis il arrive en région parisienne où il est employé comme tôlier dans une entreprise sous-traitante de Citroën, en maintenance automobile. Il transforme des camionnettes selon les commandes spécifiques des clients. Il décape la peinture d’origine, coupe la tôle à l’aide d’un chalumeau puis ajoute de la tôle afin d’augmenter la taille du véhicule par soudure à point et à l’arc. Il se protège du feu avec des gants faits en amiante. Il applique ensuite du sintofer (un mastic à base d’amiante) pour remplir les vides et lisser la carrosserie, ponce le surplus avec un disque et une toile émeri. Dans l’atelier, qui ne possède pas de système de ventilation, six ouvriers font le même type de travail. Le sol est couvert d’une épaisse couche de poussière (fortement contaminée par plusieurs cancérogènes : l’amiante, le plomb, les chromates et les poussières métalliques).

Monsieur E. travaille ensuite dans une entreprise qui fabrique des supports en tôle pour des lampes longues servant à l’éclairage public : sur une presse, il coupe et enroule la tôle, il soude et travaille à la meule. Dans cette activité, il est exposé à d’autres cancérogènes (fumées de soudage et fumées d’huiles de coupe). (...)

> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article2103


Cet article est extrait du n° 86 de la revue Plein droit  (octobre 2010),
 
« Santé des étrangers : l’autre double peine »
http://www.gisti.org/spip.php?article2072


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