Enjeux migratoires à Chypre
CNRS - Université Bordeaux III (Terrferme) ; Migreurop (Échanges et partenariats)
À son indépendance, la République de Chypre (RdC), composée de deux communautés distinctes (grecque et turque), reste associée au Commonwealth, et la présence de deux bases britanniques est maintenue au sud de l’île. Après trois ans d’existence, la République est fortement affaiblie par les rivalités politiques et les violences intra- et intercommunautaires. De violents affrontements ont lieu en décembre 1963 et fragilisent la cohabitation entre les populations grecque et turque. Les nationalistes turcs continuent de réclamer le partage de l’île (Taksim) et, surtout, les nationalistes grecs revendiquent le rattachement de l’île à la Grèce (Enosis). Au cours de l’été 1974, appuyée par l’armée grecque, la garde nationale tente de prendre le pouvoir. La Turquie, invoquant les accords de Zurich de 1959, estime alors que les intérêts de la communauté turque de l’île sont menacés et décide en août 1974 d’intervenir militairement. Ce conflit entraîne la défaite des troupes helléniques, l’établissement d’une ligne de cessez-le-feu, la ligne verte, qui instaure la division de l’archipel ainsi que le déplacement de milliers de personnes. Selon les estimations, 180 000 Chypriotes grecs vont se déplacer du nord vers le sud de l’île et 45 000 Chypriotes turcs du sud vont s’expatrier vers le nord. Les casques bleus surveillent les forces belligérantes présentes de chaque côté de la ligne de démarcation, et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) à prendre en charge les personnes déplacées.
Si une partie des tensions entre la Grèce et la Turquie s’est focalisée autour de Chypre, l’intégration de l’île dans l’Union européenne (UE) va renforcer les antagonismes entre les deux pays. En 1990, suite à l’échec des négociations au siège de l’ONU autour de la réunification de l’île, la République de Chypre déclare officiellement vouloir entrer dans l’UE. Trois ans plus tard, le Conseil européen donne un avis favorable. Toutefois il s’engage à ouvrir les négociations d’adhésion avec Chypre à condition que la Grèce lève son veto à l’union douanière UE-Turquie à laquelle certains États membres sont favorables. Les négociations d’adhésion avec Chypre commencent en décembre 1997. Mais le gouvernement turc de l’époque ne voit pas d’un bon oeil cette possible intégration partielle de l’île dans l’UE (synonyme de rapprochement avec la Grèce), d’autant plus que sa propre candidature a été refusée à deux reprises (1989 et 1995) [1]. La Turquie signe alors une série d’accords avec la République turque de Chypre du Nord (RTCN) [2] visant à annexer la partie septentrionale de l’île à la Turquie, au cas où la partie sud intégrerait l’UE.
L’arrivée au pouvoir en Turquie en 2002 du Parti de la justice et du développement qui souhaite relancer la candidature à l’Union européenne, et la victoire de la gauche chypriote turque aux élections législatives de décembre 2003 vont conduire à un net changement de la politique chypriote menée par la Turquie. Celle-ci ne peut en effet faire l’impasse d’une solution politique à l’unification de l’île si elle veut un jour intégrer l’UE. L’acceptation du plan Annam par les puissances extérieures ouvre la voie à un référendum auprès des Chypriotes grecs et turcs sur l’application d’une solution fédérale. Le rejet du plan par la communauté chypriote grecque (à 76 %), lors du référendum d’avril 2004, entrave à nouveau la réunification. En conséquence seule la partie méridionale de l’île entre dans l’UE le 1er mai 2004.
La ligne verte n’est pas une frontière
Face à cet imbroglio, le Conseil de l’UE adopte, le 29 avril 2004, un règlement [3] relatif à la ligne de démarcation. L’acquis communautaire ne s’appliquant pas dans la partie nord, l’objectif est de trouver des solutions temporaires à la circulation des marchandises et des Chypriotes turcs, citoyens de la République de Chypre [4], et de garantir les règles relatives à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Or le règlement précise que la ligne verte ne constitue pas une frontière extérieure de l’Union européenne. Aménager des dispositifs de surveillance sur la ligne verte semblables à ceux mis aux autres frontières extérieures de l’UE, reviendrait à admettre quelque forme de reconnaissance de la RTCN, ce que la République de Chypre n’est pas disposée à faire. Le nombre de policiers travaillant aux sept points de passage ouverts progressivement, a d’ailleurs diminué, passant de 67 en 2008 à 59 en 2010 alors que, sur la même période, le nombre annuel de passages en provenance du Nord (près de 1,2 million) tend à augmenter.
Le contrôle de la ligne verte par la République de Chypre procède des préoccupations de l’Union vis-à-vis des flux migratoires « irréguliers ». La modernisation des moyens de surveillance, un projet cofinancé par l’UE, a ainsi conduit à une quasi-imperméabilité des frontières sud de l’île, en premier lieu dans les ports de Larnaca et Limassol. Les autorités portuaires de Chypre sont d’ailleurs très claires sur le lien de causalité entre la modernisation des moyens de contrôles et l’élargissement des frontières de l’UE « à ses limites sud-est, dans une région particulièrement sensible » [5]. De nombreux témoignages font toutefois état d’arrivées par le sud, une réalité corroborée par la Commission.
(...)
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http://www.gisti.org/spip.php?article2122
Cet article est extrait du n° 87 de la revue Plein droit (décembre 2010),
« Sur le front des frontières »
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