jeudi 31 mars 2011

[Gisti-info] « Un déni de justice ? » - Article extrait du Plein Droit n° 88

Un déni de justice ?

Nathalie Ferré
Juriste, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 13


Le contrôle de la régularité de l'interpellation des étrangers et de la procédure de placement en rétention n'a pas été prévu par la loi. Mais la jurisprudence est venue combler cette lacune. Or le projet de loi déposé par Éric Besson
[1] revient sur ce point au nom de la « simplification » de la procédure d'éloignement. Il est vrai que sa « complexité » a permis à des juges judiciaires de faire respecter la loi… et les droits des étrangers pourtant déjà soumis à un régime juridique d'exception.

En 1986, l'éloignement redevient une mesure administrative, en l'occurrence prononcée par le préfet. Cette mesure ne changera plus de nature au gré de l'alternance politique, après avoir été un temps une peine prononcée par le juge pénal. La majorité socialiste met en place, par la loi du 10 janvier 1990, un recours suspensif contre toute décision de reconduite à la frontière devant le juge administratif, qui doit alors statuer en urgence. Mais une question est omise, celle de l'existence d'un contrôle sur les conditions de l'interpellation. Dans le schéma procédural qui se dessine, aucun tribunal, aucun juge n'examine si les règles de procédure préalablement au placement en rétention ont été respectées par la police. Il se construit alors un vide juridictionnel puisque les conditions du contrôle d'identité, qui ont permis de constater le séjour irrégulier, comme celles de la garde à vue, échappent à tout contrôle. Ce « vide », qui sera comblé quelques années plus tard par la jurisprudence, est sur le point de renaître aujourd'hui avec le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

L'existence de ce « vide juridictionnel » est reconnue par le Conseil d'État qui, dans une décision rendue le 23 février 1990, énonce que le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur la légalité de l'interpellation. La Haute juridiction, comme il fallait s'y attendre, se retranche derrière le principe de la séparation des pouvoirs pour refuser de se saisir de cette question. Sa jurisprudence devient dès lors constante. Les avocats sont bien démunis pour assurer la défense des étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière. Ils ne peuvent en aucune façon invoquer devant le juge de l'éloignement le cadre juridique de l'interpellation et de la garde à vue. À l'époque, point de juge des libertés et de la détention (JLD), mais un juge dit « 35 bis » – par référence à la disposition de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui régit la procédure de rétention administrative – que l'on qualifie volontiers de « potiche ». Sa marge de manoeuvre se révèle en effet fort étroite et l'amène, dans la grande majorité des cas, à prolonger la mesure de privation de liberté.

Tout se joue alors sur l'existence de garanties de représentation (domicile, famille, pièces d'identité, etc.). Cette absence de contrôle tend à renforcer l'impression, assez répandue chez les agents de police, qu'en matière de contrôles d'identité, ils ont « tous les pouvoirs », à tout le moins que le dispositif leur permet d'opérer librement, sans crainte de voir la procédure censurée. Ce n'est que dans l'hypothèse où les étrangers sont traduits devant le tribunal correctionnel pour délit de séjour irrégulier, voire d'autres infractions, que l'avocat commis d'office peut, le cas échéant, soulever l'illégalité de la procédure. Un temps rêvé pour les gouvernants d'aujourd'hui… mais qui va prendre fin en 1995.

La Cour de cassation va en effet faire du passage devant le juge du « 35 bis » un moment important pour la défense des étrangers retenus en lui donnant compétence pour statuer sur l'interpellation et la garde à vue : « Mais attendu qu'en vertu des articles 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 136 du code de procédure pénale, il appartient au juge, saisi par le préfet en application de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de se prononcer, comme gardien de la liberté individuelle, et sans que sa décision préjuge la validité de l'arrêté de reconduite à la frontière, sur l'irrégularité, invoquée par l'étranger, de l'interpellation » [2]
. Le juge du « 35 bis », parce qu'il est un juge judiciaire, doit donc examiner si l'administration a respecté la procédure précédant la mise en rétention. Cela concerne d'abord les règles sur les contrôles d'identité et sur la vérification de la situation administrative, sachant que, sans interpellation, l'irrégularité du séjour n'aurait pu être constatée. Beaucoup salueront la fin d'un « déni de justice » et une vraie victoire pour les droits des étrangers. Certes, la mesure d'éloignement n'est pas affectée par le caractère illégal de l'interpellation et/ ou de la garde à vue, mais l'étranger recouvre la liberté.

Ce qui apparaît pour certains comme une avancée indispensable, notamment pour satisfaire aux exigences du droit d'accès à la justice ou du droit à un recours juridictionnel tel qu'il est garanti par la Convention européenne des droits de l'homme, va être jugé par d'autres, quelques années plus tard, comme une gêne excessive à l'entreprise de lutte contre l'immigration irrégulière.

(...)

> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article2270



Cet article est extrait du n° 88 de la revue Plein droit  (mars 2011),
  « Immigration : l'exception faite loi »

http://www.gisti.org/spip.php?article2259



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