Rupture… ou engrenage ?
Danièle Lochak
Professeure émérite de droit, université Paris-Ouest Nanterre-La Défense
À chaque modification du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, on a parlé de rupture et d'une nouvelle atteinte aux droits des étrangers. Mais s'agit-il bien de ruptures ? Ne vaudrait-il mieux pas souligner le caractère répétitif des arguments et des procédés qui aboutissent à une nouvelle législation ? D'un processus continu de dégradation des droits qui tend juste à s'accélérer ces dernières années ? L'ordonnance du 2 novembre 1945 puis le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) ont été modifiés un nombre incalculable de fois. Si l'on excepte les lois de 1981 et 1984 votées par une majorité de gauche bien disposée à l'égard des immigrés, la loi Joxe de 1989 venant après la première loi Pasqua de 1986 et, dans une moindre mesure, la loi Chevènement de 1998 qui a atténué les méfaits des lois Pasqua de 1993 et Debré de 1997, chacune des réformes successives s'est soldée par une régression de la situation des étrangers. Et chacune a suscité corrélativement des réactions d'indignation – plus ou moins virulentes selon les époques et la conjoncture politique –, dénonçant de façon récurrente la rupture que constituent ces nouvelles atteintes, jamais égalées, aux droits des étrangers.
Mais la métaphore de la rupture est-elle réellement adaptée pour décrire cette répétition dans le temps ? N'est-ce pas là une illusion d'optique, due à une forme d'accoutumance, qui masque la réalité d'un engrenage continu, d'une dégradation inexorable, chaque régression étant suivie à plus ou moins brève échéance d'une autre, puis encore d'une autre. La future loi Besson et les réactions qu'elle a suscitées en fournissent une nouvelle illustration.
On peut déjà noter qu'en dehors du milieu associatif, la disposition qui a suscité les débats les plus vifs – la seule, pratiquement, à avoir été commentée dans les médias – est l'amendement visant à mettre en oeuvre le souhait émis par le président de la République dans son discours de Grenoble que soit introduite dans la législation la possibilité de déchoir de la nationalité française une personne « d'origine étrangère » coupable d'agression sur un policier ou un gendarme. Pendant tout le mois d'août, les ministres de la justice, de l'intérieur et de l'immigration ont fait assaut de zèle, le ministre de l'intérieur allant, dans cette surenchère, jusqu'à proposer la création d'un délit de polygamie de fait.
Comme il était prévisible sinon délibéré, l'émotion suscitée par les différents projets en lice a eu pour conséquence de faire apparaître comme « raisonnable » l'amendement finalement voté par l'Assemblée nationale. Et de même que la polarisation sur l'amendement ADN avait contribué, en 2007, à occulter le reste de la loi Hortefeux, la polarisation sur la déchéance – disposition idéologiquement et politiquement détestable, certes, mais dont les retombées seront des plus limitées – a détourné l'attention du reste de la loi, bien plus inquiétant.
Inquiétant, assurément, ce « nouveau tournant dans la politique d'hostilité aux populations étrangères » [1], qui introduit « pour les étrangers de véritables régimes d'exception » [2]. Faut-il pour autant, comme on est spontanément tenté de le faire au vu du caractère insupportable de beaucoup de dispositions du texte, les interpréter comme autant de « ruptures » ? Si l'on examine les plus saillantes d'entre elles, on constate qu'elles témoignent hélas plus de l'engrenage d'une politique qui se veut, depuis trente ans, toujours plus répressive que de véritables innovations.
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