lundi 8 février 2016

[Gisti-info] « Les expulsés leur voix, leurs droits » - Un article du Plein Droit 107

Article extrait du Plein droit n° 107

Les expulsés leur voix, leurs droits

Clara Lecadet et Pascaline Chappart
IIAC-LAUM ; Migrinter


Les renvois d'étrangers en situation irrégulière [1] dans leur pays d'origine ou dans un pays tiers – certains frappés par une interdiction, provisoire ou définitive, de retourner dans le pays qui les a expulsés –, ont été, à partir des années 1990, à l'origine d'un corpus de travaux sur le rôle des expulsions dans l'édification des États-nations et dans la construction de la distinction entre citoyens et étrangers. Le pouvoir d'expulser a ainsi fait l'objet d'une généalogie critique, qui montre qu'il s'est progressivement imposé comme une mesure disciplinaire liée au contrôle de la mobilité, qualifiée par William Walters de « police internationale des étrangers » [2].

À partir du 18e siècle, la nationalisation des frontières en Europe va de pair avec la mise en place d'une police des étrangers et avec l'usage des expulsions dans le développement des contextes national et colonial. Le lien entre les expulsions de l'entre-deux-guerres, les crimes de la Seconde Guerre mondiale et l'institutionnalisation de la protection des réfugiés dans les années 1950 montre comment le paradigme contemporain de l'expulsion des étrangers résulte d'une histoire complexe mêlant les déplacements massifs de population au 20e siècle et la reconnaissance d'une protection internationale accrue vis-à-vis des réfugiés [3]. Dans un contexte marqué par le déclin du modèle de l'asile à partir des années 1970 et le durcissement des politiques d'immigration, les mesures d'expulsion font l'objet, dans les États occidentaux, d'une judiciarisation et d'une normalisation croissantes. Cette légitimation par le droit a permis leur relative standardisation à l'échelle internationale.

Le « régime de l'expulsion » [Deportation regime] [4] apparaît dès lors comme une caractéristique fondamentale en Europe, mais aussi aux États-Unis et en Australie, d'une politique migratoire fondée sur un contrôle renforcé des frontières, sur la mise en rétention des étrangers en situation irrégulière et/ou leur expulsion du territoire national. Matthew Gibney a qualifié de « tournant de l'expulsion » [Deportation turn] [5] ce moment où, à la fin des années 1990, les effets conjugués de la décolonisation, de la fin du paradigme de l'asile et de l'arrêt de l'immigration officielle de travail [6] provoquent une augmentation significative de la rétention et des expulsions individuelles et/ou collectives, des étrangers en situation irrégulière dans les grandes nations occidentales. Ce phénomène est observable en France avec la mise en place d'un quota chiffré d'expulsions, une des annonces phares du candidat Sarkozy pendant la campagne présidentielle de 2007 ; elle donne une visibilité et une ampleur inédites à ces renvois forcés, même si les mesures d'expulsion ont constitué la trame commune des politiques migratoires des gouvernements de droite et de gauche depuis les années 1970.

Les implications de l'intensification et de la mise en scène des expulsions dans les politiques nationales européennes se situent à une pluralité d'échelles. Si les expulsions ont sans doute une fonction puissante dans l'imaginaire de clôture et de défense de la nation, elles ont également joué un rôle majeur dans l'élaboration d'une politique migratoire commune au niveau européen. Avec l'adoption en 2008 d'une directive européenne consacrée au « retour » des étrangers en situation irrégulière, les expulsions restent certes dans le domaine des prérogatives nationales mais elles peuvent aussi faire l'objet, dans leur mise en œuvre, de coopération entre les États par l'organisation conjointe de vols charters. Le motif du « retour » des étrangers en situation irrégulière occupe également une place centrale dans le processus de gestion concertée des migrations voulue par l'Organisation internationale des migrations (OIM) [7].

Ces mesures ont eu en outre un impact très important sur les relations avec les pays d'origine des migrants. Les négociations politiques se sont multipliées dans les années 2000 dans le cadre de la signature d'accords bilatéraux, destinés à faciliter la réadmission des ressortissants de pays tiers soumis à une mesure d'expulsion. Ces accords interétatiques ont permis la mise en place de « couloirs transnationaux pour l'expulsion » [8], rendant les expulsés captifs de dispositions mises en œuvre par leurs pays de séjour et d'origine. Ces modes de gestion multilatéraux des migrations sont emblématiques des rapports de force internationaux qui permettent l'imposition d'un modèle hégémonique de contrôle des migrations par l'expulsion. Ils reproduisent en partie les rapports de domination Nord-Sud hérités du colonialisme, mais aussi les divisions raciales, ethniques et sociales au cœur des démocraties libérales [9]. Cette nouvelle empreinte de la domination a donné lieu à la constitution d'un espace de critique et de mobilisation transnationale contre les expulsions. (...)

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Extrait du
Plein droit n°107
  « Les expulsés, leur voix, leurs droits »

(Décembre 2015, 10€)



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