jeudi 22 décembre 2016

[Gisti-info] « La possible fin des contrôles au faciès », éditorial du Plein Droit 111

Édito extrait du Plein droit n° 111

La possible fin des contrôles au faciès

Le 9 novembre 2016, après la cour d'appel de Paris [1], la Cour de cassation a reconnu à son tour que la responsabilité de l'État « pour faute lourde » pouvait être engagée en cas de contrôle d'identité discriminatoire « pour déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » [2]. Elle a considéré, comme le Défenseur des droits, intervenant volontaire dans ces dossiers, que le dispositif de lutte contre les discriminations – et ces dernières sont établies quand l'opération est réalisée « selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable » – s'applique également à la police. Avec pour conséquence un partage du fardeau de la preuve. Il n'appartient pas à la seule victime du contrôle « au faciès » de prouver son caractère discriminatoire. Les juges de la cassation admettent que puissent être utilement produites en justice des études et informations statistiques attestant de la fréquence des contrôles effectués sur une même catégorie de population. À l'instar du contentieux portant sur l'égalité entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de conditions de travail, les auteurs de l'assignation entendaient, à l'occasion de ces treize affaires, faire valoir la preuve statistique et sociologique, en particulier l'étude conduite en 2009 par des chercheurs du CNRS à l'initiative de l'ONG Open Society montrant la surexposition aux contrôles d'identité « de la population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles ». Ils ont été entendus.

Pour autant, des données établies par des recherches en sciences sociales ne suffisent pas à présumer une discrimination. L'issue des contentieux a ainsi dépendu du témoignage suffisamment explicite et circonstancié d'une tierce personne, présente lors des interpellations et montrant que la police avait, durant le temps de l'opération, contrôlé uniquement un type de population en raison de la couleur de sa peau ou de son origine. C'est dans ces conditions que la Cour de cassation a confirmé la condamnation de l'État à verser à trois requérants la somme de 1 500 euros en réparation de leur préjudice moral. Ces décisions, au-delà de leur issue, ouvrent des perspectives et envoient un message : la police ne bénéficie pas d'une immunité totale lorsqu'elle effectue des interpellations sous couvert de la loi. Dans plusieurs affaires, les agents indiquaient en effet avoir agi dans le cadre de réquisitions prises par le procureur de la République les autorisant à contrôler les personnes dans un périmètre géographique déterminé en vue de poursuivre et de rechercher des infractions de vol, d'atteinte aux personnes ou encore de trafic de stupéfiants. Ces réquisitions ne constituent pas un blanc-seing permettant aux agents de sélectionner les personnes contrôlées sur la base de critères illicites. Toutefois, la portée de cette jurisprudence ne doit pas être exagérée. Pour changer les pratiques, il faut sans aucun doute commencer par changer la loi (avant les mentalités…) : les dispositions du code de procédure pénale qui définissent les hypothèses légales de contrôle laissent une trop grande marge de manœuvre à la police, qui, de surcroît, faut-il le rappeler, n'est pas tenue de motiver son intervention. Dans le contexte actuel (de l'état d'urgence aux mobilisations de policiers) et à l'approche de nouvelles échéances électorales, on se doute que la réforme de la réglementation en la matière constitue une perspective peu réaliste.

>>> La suite de l'article


Extrait du Plein droit n° 111
« Quelle « crise migratoire » ? »

(juin 2016, 10€)


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