mercredi 26 novembre 2008

[Gisti-info] « Des mains délicates pour des fraises amères » - Article extrait du Plein Droit n° 78

Des mains délicates pour des fraises amères

Emmanuelle Hellio
Stagiaire SOC-Confédération paysanne dans le cadre du programme européen agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers

Dans le marché international agricole, l'Andalousie est la première zone exportatrice de produits maraîchers pour l'ensemble de l'Europe. L'immigration est considérée comme un des facteurs clé de la rentabilité du système. Intégrés dans une agriculture industrielle mondialisée, les agriculteurs recherchent, depuis le début des années 2000, l'intrant supplémentaire nécessaire à leur production, une main-d'oeuvre étrangère la plus flexible possible. Les exploitants importent des travailleurs pour exporter des fraises.

À l'ouest de la communauté autonome d'Andalousie, la province de Huelva s'est spécialisée depuis les années 80 dans la culture de la fraise. Aujourd'hui, plus de 7 000 hectares de serre sont cultivés sur d'anciennes pinèdes publiques. Le cycle de production commence à la fin de l'été par la stérilisation des sols au bromure de méthyle. En octobre, les fraisiers qui ont grandi dans le froid des pépinières de Castilla y León, sont transplantés à Huelva. Ils produisent dès la fin du mois de décembre et jusqu'en juin des fraises qui seront exportées dans toute l'Europe. Il s'agit d'une culture hydroponique, le sol des serres n'apporte aucun élément nutritif aux plants. Cette production intensive dépend donc des multinationales qui fournissent les plastiques, les engrais et les pesticides indispensables à ce mode de culture. Même les plants viennent d'ailleurs. La plupart des agriculteurs cultivent la fraise Camarosa, une variété créée par une université californienne et dont la plantation suppose de payer des royalties à hauteur de 1 800 euros par hectare et par an.

Pour rester rentable malgré l'importance des coûts intermédiaires, la production de « l'or rouge » ne peut cependant se maintenir que si les agriculteurs disposent d'une main-d'oeuvre nombreuse, bon marché et disponible tout au long de la récolte. En 2000, les organisations patronales font le constat d'un manque de travailleurs. Les journaliers andalous qui récoltaient les fraises depuis les années 80 se détournent toujours davantage d'un des secteurs les plus précaires et les moins payés d'Espagne. Insensiblement, durant les années 90, ce sont des hommes originaires d'Afrique noire ou du Maghreb, issus d'une immigration spontanée qui les ont remplacés dans les champs. Malgré la présence de ces hommes et peut être dans le but d'éviter les risques d'emploi massif d'une main-d'oeuvre majoritairement illégale, les organisations patronales décident de faire venir temporairement de l'étranger les saisonniers dont ils ont besoin. Ils utilisent à cette fin une clause de la ley de extranjería, la loi espagnole sur l'entrée et le séjour des étrangers. Votée en 2000 [1], elle offre la possibilité aux employeurs qui ne trouvent pas localement les travailleurs dont ils ont besoin, de recruter des ressortissants de pays non communautaires, à la condition que ces étrangers se trouvent dans leur pays au moment de la signature du contrat. Acheminés jusqu'en Espagne pour le temps de la récolte, ils devront ensuite rentrer dans leur pays à la fin du contrat saisonnier. C'est la naissance de la contratación en origen qu'on traduira par « recrutement en origine ». Intégrés dans une agriculture industrielle mondialisée, les agriculteurs vont chercher l'intrant supplémentaire nécessaire à leur production : une main-d'oeuvre étrangère la plus flexible possible. Dans ce système agricole où l'immigration est considérée comme un des facteurs clé de la rentabilité, les exploitants importent des travailleurs pour exporter des fraises.

En 2000, quelques organisations patronales mènent une première expérience pilote avec des travailleuses polonaises. Devant le succès de l'opération, toutes les coopératives, organisations et syndicats se tournent vers ce mode d'embauche et les chiffres des « recrutés en origine » vont augmenter chaque année de façon exponentielle : 1 200 en 2001, 12 000 en 2003, 24 000 en 2004 pour atteindre 35 000 en 2008. Selon la ley de extranjería modifiée en 2003, le recrutement doit être mené de préférence dans des pays ayant signé des accords de régulation des flux migratoires avec l'Espagne. À part cette contrainte légale, ce sont les organisations patronales qui choisissent les pays de recrutement. Elles se tournent vers « des pays ruraux, au PIB/ habitant faible » et qui connaissent un taux de chômage élevé afin d'assurer un différentiel de salaire important. Pendant ces huit années, les exploitants ont sélectionné des travailleurs en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie et au Maroc. Cette année, un recrutement a également eu lieu en Ukraine bien que ce pays n'ait signé aucun accord de régulation des flux migratoires, et une expérience pilote a été menée au Sénégal. Chaque année, les organisations patronales estiment les besoins de main-d'oeuvre du secteur et chargent l'agence pour l'emploi des pays d'origine de mener une présélection. Elles se rendent ensuite elles-mêmes dans les pays pour finaliser le recrutement. À la recherche de ce qu'ils appellent le « profil adéquat à la fraise », les employeurs sélectionnent : – des femmes, parce qu'elles « génèrent moins de conflits, elles ont les mains plus délicates, elles sont plus travailleuses, et plus humbles » ; – avec une expérience dans l'agriculture ; – et ayant dans le pays des charges familiales et des enfants en bas âge, afin de s'assurer de leur motivation au travail et de leur retour au pays d'origine une fois la saison terminée.

(...)

> La suite de l'article est à l'adresse
http://www.gisti.org/spip.php?article1292


Cet article est extrait du n° 78 de la revue Plein droit  (octobre 2008), 
« Saisonniers en servage »
http://www.gisti.org/spip.php?article1237


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